Addiction

Il est 2 heures du matin, je ne dors toujours pas. Je me présente, je m’appelle Phil, jeune trentenaire, dessinateur dans un journal alsacien depuis à peu près 5 ans.
J’ai commencé à absorber ce médicament en gélules pour gérer mes contractures musculaires après une défaillance de la pompe que j’avais sous la peau et qui m’injectait du Baclofène en continu, sans que j’aie besoin d’y penser. Vous devez savoir que je suis porteur d’un handicap moteur. Ce qui signifie que je suis en fauteuil électrique. Au départ, je n’ai pas vu la toxicité de cette médication. Ça s’est installé avec le temps. Ça a commencé par des insomnies. Puis, elles ont été accompagnées par des sautes d’humeur. Tout ce que j’ai trouvé pour pallier les désagréments du Baclofène, c’est d’étudier la criminologie et me mettre dans la peau d’un tueur en série. Mais, très vite, j’ai eu besoin d’expérimenter les méthodes des criminels que j’étudiais, comme celles du Bourreau. Prenant lui aussi du Baclofène pour lutter contre son alcoolisme, il adorait mutiler ses victimes. Je me suis toujours demandé si c’était le Baclofène le déclencheur de ses pulsions ou si ses pulsions étaient déjà présentes et que cette médication n’avait fait que les révéler au grand jour. J’ai remarqué, moi aussi, qu’à chaque fois que j’absorbe du Baclofène, j’ai des techniques meurtrières qui me viennent en tête. Pourtant, je suis obligé de prendre ces comprimés 4 fois par jour. Donc, je me réveille en pensant à des meurtres, je mange en pensant à des meurtres, je me couche en pensant à des meurtres. Bref, du levé au coucher, je pense à la meilleure façon de tuer.
Il faut que vous compreniez qu’avant cette médication forcée, j’étais quelqu’un de très sociable qui adorait être entouré de collègues, pour aller boire un verre ou que sais-je. Maintenant, aller dans un bar, un restaurant ou un lieu avec de la musique n’est qu’un prétexte pour observer les gens autour de moi et voir si je peux trouver une potentielle victime pour assouvir mes fantasmes meurtriers.
Si par hasard, j’oublie de prendre mes médicaments, dans la demi-heure qui suit tous mes membres commencent à trembler. Rapidement après, mon thermostat interne me joue des tours. Je peux passer du chaud au froid avec une altération de la conscience. Si du jour au lendemain, je décidais d’arrêter ce traitement, je risquerais le coma. Même si le manque de sommeil et les sautes d’humeur me dérangent, cette prise de Baclofène, avec le temps, est devenue nécessaire à ma survie. Je considère les envies de meurtres comme une nouvelle compétence que je dois approfondir. Mais, il faut que vous compreniez, que sans cette prise de médicaments, je ressemble à un drogué en état de manque. J’arrive à survivre mais ce n’est pas idéal. Même mes dessins sont devenus plus noir, avec moins de couleur mais plus de message revendicatif. Cela à cause, ou grâce, à la prise régulière de Baclofène. Vous imaginez ce que c’est d’avoir sa vie suspendue à une prise de médicament ? 3 petits comprimés à prendre toutes les 6 heures. Ce n’est pas une vie, c’est de la survie.
Maintenant, je vais mettre l’accent sur les changements physiques de ma personne. Il faut savoir qu’en 2ans, j’ai pris une 15aine de kilos. Ma peau est devenue plus grasse et mon absorption de nourriture tend vers la pathologie. Mes ongles de pieds et de mains ont perdu de leur solidité avec une teinte jaunâtre. Je constate également une perte de tonus musculaire. Bien que cette médication soit pour pallier les crises dues à mon rejet de pompe, les contractures sont beaucoup plus nombreuses et intenses.
Avant que tout cela m’arrive, j’avais une vie sociale remplie. Je sortais beaucoup avec mes collègues qui étaient aussi des amis, mais pas seulement. J’avais une vie trépidante en dehors du travail. J’adorais faire du sport, par exemple, du tennis fauteuil. Je pouvais aussi m’épanouir dans des loisirs créatifs telle que la peinture. Surtout, j’étais bien vu dans mon travail. J’avais une certaine fierté car les filles me trouvaient séduisant. Je faisais facilement des blagues. A présent, la moindre interaction sociale est un combat. Mais il n’y a pas que des désavantages à cette médication forcée. Cette expérience m’a appris, qu’auparavant, je vivais plus pour les autres que réellement pour moi. Maintenant, j’ai perdu beaucoup de vie sociale, certes, mais d’un autre côté, je me moque du qu’en dira-t-on et de ce que les gens pensent de moi. Je dois dire également que cette absorption quotidienne, qui est assez ritualisée, a un aspect rassurant, un peu comme un enfant qui aurait besoin de son doudou. Je m’explique : un jeune enfant, quand il fait ses premiers pas à l’école, a besoin d’avoir une présence rassurante, telle que sa peluche préférée, à ses côtés. Moi, j’ai toujours 3 comprimés de Baclofène dans mon sac. Même si ce n’est pas encore l’heure d’absorber ces cachets, je vérifie régulièrement leur présence. Il y a, sans doute, quelque chose qui s’apparente à la peur de manquer.
Outre les effets que le médicament a sur moi, cela impacte aussi mon entourage. Je suis devenu assez irascible et très colérique. Du coup, les auxiliaires de vie, qui étaient depuis longtemps à mon service, ont claqué la porte les unes après les autres, tellement je suis invivable.
Je me souviens notamment d’une anecdote lorsqu’une de mes plus anciennes assistantes de vie m’a préparé mon repas d’anniversaire. Tout était parfait jusqu’au plat de résistance. Je l’ai engueulée car je ne voulais pas d’un plat exclusivement végétarien. Or, je suis un grand consommateur de viande. A partir de là, tout est devenu hors de contrôle. Je lui ai dit des horreurs et j’ai commencé à utiliser mon fauteuil électrique comme une arme pour m’en prendre physiquement à sa personne. J’ai d’abord commencé par lui rouler sur les pieds. Ensuite, j’ai fermé toutes les portes de chez moi grâce à la commande d’environnement. C’est un boîtier électronique qui permet à la voix d’ouvrir les volets par exemple, de fermer une porte ou de réguler le chauffage de votre maison quand vous êtes en situation de handicap moteur. Au bout de 3 heures de séquestration à mon domicile, Nour a réussi à donner l’alerte en cassant une de mes fenêtres pour s’enfuir. Je suis resté là, passant la nuit dans mon fauteuil, privé de mon indispensable Baclofène. J’ai fait une crise de manque et ai dû être admis à l’hôpital en urgence. C’est là que la police est venue m’interroger et m’a annoncé qu’une plainte était déposée à mon encontre pour séquestration sur une de mes employées.
Samuel Redelsperger

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