Dernière balle
Je me trouvais là, en plein mois d’octobre, dissimulé sous ma capuche, muni d’un fusil équipé d’un silencieux, attendant que ma cible apparaisse. Je me présente, mon nom est Lucifer, tueur à gage, cela fait vingt ans que je suis rémunéré pour ôter la vie. Je n’ai qu’une règle, je ne m’attaque pas aux mineurs. Un enfant, quelque ses erreurs, a besoin d’adultes pour le recadrer et lui montrer la voie à suivre, car s’il a commis des actes graves et irréversibles, ce n’est pas uniquement lui qu’il faut juger mais aussi son entourage.
La personne que je dois assassiner aujourd’hui est une belle jeune femme à la chevelure rousse, dans la fleur de l’âge, élancée, à l’allure sportive, un sourire franc et massif, selon les photos en ma possession. En planque depuis huit heures du matin dans le bâtiment en construction situé en face du bureau dans lequel travaillait ma cible avec pour seule compagnie, un paquet de cigarettes et mon arme. Mon histoire avec le tabac avait débuté en même temps que mes premiers contrats, et la nicotine a toujours était mon seul et unique amour.
La raison de ce contrat était banale, son mari avait fait appel à moi pour la faire taire définitivement, elle et son côté volage. Pourtant, mon client m’avait expliqué qu’au départ leur mariage était idyllique, leur romance avait débuté il y a quinze ans, ils s’étaient rencontrés lors d’une fête foraine, et ce qui n’était qu’un rendez-vous arrangé au début s’était vite transformé en coup de foudre. Ils riaient des mêmes blagues et leur complicité avait grandi rapidement au fur et mesure de la soirée. Le jour suivant, le jeune homme avait proposé à la demoiselle d’aller au cinéma, voir une comédie romantique, c’est d’ailleurs là que leurs lèvres s’étaient connues pour la première fois. Une année plus tard, un enfant, nommé Esteban voyait le jour, et moins d’un an après, une autre tête blonde nommée Laura, était venue agrandir la famille. Mais peu à peu, l’érosion du quotidien eut raison de leur passion, à table le soir, ils n’échangeaient plus que des banalités jusqu’à ce qu’un jour, le mari sente le parfum d’un autre homme dans le cou de sa bien-aimée. C’est à ce moment-là que j’avais été mandaté pour mettre fin à cette histoire. Malgré les années, je ne m’habituais jamais aux couples qui se déchiraient de la sorte, pourquoi ne pas simplement divorcer, au lieu d’en arriver à de telles extrémités ? Quand j’avais posé la question au mari trompé, il m’avait répondu avoir besoin que ce soit irréversible, malgré la peine que cela causerait à ses deux chérubins. Mais, lui, avait déjà l’impression d’être mort à l’intérieur, donc il voulait mettre un terme à sa souffrance et il se refusait catégoriquement de payer la moindre pension alimentaire à sa pécheresse de femme. Voilà comment nous en étions arrivés là.
Il ne me restait plus qu’à attendre qu’elle sorte de son travail pour sa pause déjeuner, qu’elle allait sans doute partager avec son amant, et comme mon client ne supportait pas l’idée de les imaginer batifoler dans l’au-delà, il avait donc décidé que, seule elle mourrait. Peu après midi j’aperçus enfin ma cible sortir du bâtiment avec une des collègues, arborant le même sourire que sur les clichés que son mari m’avait fournis. Elle ne se doutait pas que, dans quelques secondes, son expression serait figée jamais. Mon doigt se dirigeait lentement vers la détente alors que le canon de mon fusil pointait dans sa direction, et je pris une longue inspiration avant de tirer.
La mère de famille fût touchée en plein cœur sans même réaliser ce qui lui arrivait et s’effondra instantanément sur le sol, devant les yeux horrifiés de son amie. Je profitais de l’affolement général autour d’elle pour déserter les lieux et rejoindre ma moto que j’avais garé un peu plus loin. Il me fallait maintenant changer les plaques d’immatriculation de mon véhicule, me débarrasser de l’arme en la jetant dans le lac le plus proche, avant de disparaitre de la région, voir du pays. Comme cela, lorsque la police repêchera le fusil après son séjour dans l’eau, les éventuelles empreintes laissées dessus ne seront plus exploitables. Je pris mon téléphone portable pré payé pour appeler mon client et lui signifier que le travail avait été effectué, je lui transmis le numéro de compte sur lequel je souhaitais que la somme soit transférée et le tour était joué. Avec ce paiement, j’avais enfin accumulé assez d’argent pour pouvoir changer de vie et oublier mon passé de bourreau, métier qui, au début était très lucratif et me permettait de voyager partout dans le monde, mais, qui avec le temps, sans que j’y fasse attention, avait laissé un goût amer dans ma bouche et un sentiment croissant de solitude. Cette profession ne me permettait pas de m’attacher à qui que ce soit, ni d’envisager des projets d’avenir, et me forçait à changer d’habitation constamment, m’empêchant de me sentir chez moi où que ce soit. Bref, une vie entière à être sur le qui-vive, à regarder derrière mon épaule en permanence, avec la crainte de passer du rôle de chasseur à celui de proie au moindre faux pas. Ce contrat exécuté était mon dernier car j’avais décidé, qu’après celui-ci, je changerais mon fusil d’épaule.
Quelques mois plus tard, je m’étais installé sur une île où j’avais ouvert un bar à cocktail et où j’organisais des cours de plongée pour les touristes. Maintenant, quand des plongeurs inexpérimentés ne m’écoutaient pas, je les fusillais du regard, c’était la seule arme que j’utilisais encore aujourd’hui et celle-ci était particulièrement dissuasive.